22 février 2018

Le nouveau racisme occidental fondé sur des "valeurs"


 

Les psychologues disent que toutes les guerres commencent dans les cœurs humains – avec la déshumanisation de l’adversaire. Le triste état actuel des relations de la Russie avec les États-Unis et l’Union européenne se caractérise précisément par cela : la déshumanisation.


La forme moderne du déni occidental des qualités humaines d’un adversaire consiste à rendre ceux-ci « non éligibles » à l’expression de leurs points de vue dans les médias mondiaux, à l’organisation de votes que l’Occident n’approuve pas ou même à la participation à des événements sportifs internationaux. Cet article examinera les formes de ce déni.

L’incursion de Clapper dans la génétique

Il existe des formes de déshumanisation démodées, comme lorsqu’un adversaire est déclaré « génétiquement » inférieur ou dangereux. Quand, l’an dernier, l’ancien directeur du renseignement national James Clapper a parlé de « pratiques historiques des Russes qui sont presque génétiquement poussés à coopter, pénétrer, obtenir des faveurs, ce qui est une technique russe typique », il a utilisé exactement cette vieille méthode.

Clapper lui-même était visiblement mécontent de sa sortie et a probablement eu droit à un savon moral de la part de ses tuteurs – non pour sa substance, mais pour la forme de son attaque contre les Russes. Dans le monde moderne, il y a quantité de manières de diaboliser son ennemi sans recourir à des insultes ethniques. Mais les autres sortes de « diabolisation de groupe » (en fait de déshumanisation) sont-elles meilleures ? De nos jours, une des méthodes plus subtiles de déshumanisation consiste à refuser à son adversaire certains titres d’appartenance à un groupe, mettant en doute son statut de journaliste, de soldat, de citoyen, etc. – cela aide aussi à éviter des accusations de racisme. Clapper devrait donc probablement apprendre des diabolisateurs européens, plus subtils.

Sous-journalistes ?

Un exemple. Dans un discours prononcé au début de janvier, le président français Emmanuel Macron a appelé à la vigilance à l’égard des « faux journalistes » lorsqu’ils s’adressent à une foule de médias loyaux.

« C’est vous, journalistes, qui êtes les premiers menacés par cette propagande. Elle adopte votre ton, parfois vos formats. Elle emploie votre vocabulaire et parfois même, elle recrute parmi vous. Parfois même financée par certaines démocraties illbérales que nous condamnons au quotidien, elle se diffuse, elle se banalise et elle finit par jouer de cette confusion que nous avons progressivement acceptée » a-t-il dit.

Macron n’a pas nommé directement la Russie, mais les gens familiers de ses précédentes déclarations pouvaient comprendre qu’au moins une des « démocraties illibérales » dont il parlait était en fait la Russie. En 2017, Macron a même ordonné que l’accréditation pour des événements auxquels il participait pendant sa campagne électorale soit refusée à RT et Spoutnik.

La tradition consistant à dénier les qualités humaines fondamentales aux Russes perçus comme des rivaux a une longue histoire en France. Jules Michelet (1798-1874) était un historien français spécialisé dans ce que les stratèges de l’OTAN appelleraient aujourd’hui « la protection de la Pologne contre l’agression russe ». Michelet l’a fait en célébrant un héros du soulèvement polonais de 1794 contre la Russie, Tadeusz Kosciuszko, et en dénigrant ses ennemis. Dans un pamphlet intitulé « Pologne et Russie : légende de Kosciuszko » (1851), Michelet décrivait les Russes comme des créatures qui n’étaient pas encore devenues totalement humaines : « Ce ne sont pas encore des êtres humains, ces créatures avec leurs minces yeux de lézards… Il leur manque l’attribut essentiel de l’homme : la faculté morale, le sens du bien et du mal… Ils mentent innocemment, volent innocemment, mentent, volent toujours. »

« Ressembler à des humains »

Il y a une certaine similitude dans la manière dont Macron décrit les « faux journalistes » et celle de Michelet décrivant les « faux humains ». Les deux groupes diabolisés sont accusés de ressembler à des humains, mais de ne pas en être vraiment, et d’être incapables de prendre des décisions morales conscientes, d’avoir « le sens du bien et du mal ». C’est censé mettre les « Européens » (qui ont évidemment « le sens du bien et du mal ») dans une position de supériorité morale sur les Russes. Et non seulement sur les Russes ethniques, mais aussi sur ceux en Occident qui font preuve de compréhension à l’égard des Russes. La supériorité morale et une position typique et confortable pour les critiques de la Russie émanant de l’Union européenne, qui a promu le thème d’une « différence de valeurs » entre la Russie et l’’UE sur la question du racisme.

« Le racisme est omniprésent dans la société dans laquelle nous vivons , a dit Immanuel Wallerstein, le célèbre sociologue américain et fondateur de la théorie du système-monde, à l’auteur de cet article lors de sa récente visite à Moscou. « Dans le passé, les racistes se vantaient d’un patrimoine génétique et biologique plus riche. Lorsque c’est devenu indécent, les racistes se sont vantés de cultures plus anciennes et plus riches. Lorsque ça a commencé à paraître absurde, les racistes se sont mis à dire qu’ils avaient de meilleures valeurs morales que les groupes supposés inférieurs. Mais l’élément qui sous-tend toutes ces comparaisons est le même : le racisme. »

De nos jours, ce racisme « basé sur des valeurs » est souvent utilisé à des fins politiques. La saga en cours du Russiagate est un parfait exemple de cette utilisation. En fin de compte, la diatribe de James Clapper sur les Russes « génétiquement poussés à coopter, à pénétrer et à obtenir des faveurs » visait à faire passer le message tellement nécessaire sur l’ingérence présumée de la Russie dans l’élection américaine : « Si vous mettez ça en contexte avec tout ce que nous savions que les Russes faisaient pour interférer avec l’élection… Nous étions préoccupés. »

Des parallèles historiques alarmants

Cette position de supériorité morale vis-à-vis des adversaires (pas nécessairement des Russes) que les dirigeants européens et américains modernes s’attribuent nous rappelle à certains égards les pages les plus sombres de l’histoire occidentale. Il ne faut pas oublier que les nazis allemands niaient la nature humaine des peuples qui s’opposaient à leur régime. Voici le fameux extrait du manuel remis aux soldats SS pendant la Seconde Guerre mondiale : « Un sous-homme n’est biologiquement semblable aux humains qu’en apparence, en réalité c’est une création très différente de la nature. Il a des mains, des pieds, une sorte de cerveau, des yeux et une bouche, mais spirituellement et psychologiquement, il est plus éloigné de nous que n’importe quel animal… Tous ceux qui ont une apparence humaine ne sont pas vraiment humains. Malheur à ceux qui l’oublient ! ». (Source : Walther Hofer, « Nationalsozialismus. Dokumente 1933-1945 » Frankfurt am Main, 1959, p. 280).

Le nouveau racisme occidental « fondé sur des valeurs » n’est certainement pas aussi grossier et brutal que l’était le nazisme allemand : les politiciens d’aujourd’hui préfèrent éviter les insultes ethniques patentes et adoptent un mode plus soft en déclarant certaines personnes non éligibles pour certaines activités. Rien que ces dernières semaines, des groupes de Russes et leurs sympathisants ont été déclarés non éligibles pour le journalisme, pour les Jeux olympiques (sur les quelque 500 athlètes russes qui s’étaient préparés pour les Jeux d’hiver, seuls 169 ont été autorisés par le Comité international olympique à se rendre en Corée du Sud) et pour le commerce international.

Le Département d’État américain ne cache pas que son but est de décourager les gouvernements étrangers de collaborer avec les entreprises russes de l’industrie de la défense.

« Aujourd’hui, nous avons informé le Congrès que cette législation et son application dissuadent les ventes de matériel de défense russes » a déclaré la porte-parole du Département d’État Heather Nauert lundi. « Depuis l’adoption de la loi CAATSA [Loi pour contrer les adversaires de l’Amérique par des sanctions], nous estimons que des gouvernements étrangers ont renoncé à des achats projetés ou annoncés de plusieurs milliards de dollars d’acquisition de matériel de défense russe. »

La politique de « non-éligibilité »

Mais le summum de cette politique de « non-éligibilité » pour les Russes est la récente résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (PACE), « Sur les conséquences humanitaires de la guerre en Ukraine ». La résolution a en fait nié les résultats du référendum en Crimée, tenu en 2013, sur la question de la réunification de la péninsule avec la Russie. La majorité russe de Crimée, du point de vue du PACE, n’était apparemment pas habilitée à décider de son avenir.

Le document déclare la Crimée « territoire occupé » et appelle à l’assaut de l’armée ukrainienne sur les régions rebelles russophones à l’est du pays (le Donbass) qui ont refusé de reconnaître le régime post-Maïdan auto-imposé à Kiev, « la guerre russe en cours contre l’Ukraine ». Le fait que l’armée ukrainienne ait eu recours à l’aviation en 2014 et ait frappé des villes densément peuplées, tuant des milliers de civils dans les zones qui avaient majoritairement voté pour le président destitué, Victor Ianoukovitch, n’a pas du tout impressionné les parlementaires occidentaux.

Encore une fois, les parlementaires européens diabolisent la Russie et les Russes depuis une position de supériorité morale innée. Ils oublient les multiples articles dans les médias occidentaux dans les années 1990 et 2000 sur le désir des Criméens russophones de faire de nouveau partie de la Russie.

Les dirigeants du PACE ont également oublié que même les articles publiés par le New York Times avant le Maïdan mentionnaient les tentatives incessantes du gouvernement ukrainien pour liquider l’autonomie de la région russophone – même sous l’ancien président censément « amical à l’égard de la Russie » Leonid Koutchma. Pendant ce temps, les partis nationalistes ukrainiens qui ont formé le gouvernement post-Maïdan ont déclaré que cet objectif était l’une de leurs principales priorités.

Les parlementaires européens semblent aussi avoir évacué de leur mémoire les scènes violentes de la prise de bâtiments du gouvernement par des activistes du Maïdan en 2014, que même la télévision occidentale ne pouvait ignorer à l’époque, tout en qualifiant hypocritement cet acte, associé aux meurtres de policiers, de « manifestations pacifiques » contre un « régime pro-russe ».

Et bien sûr la résolution du PACE ne fait aucune mention du blocus alimentaire, énergétique et bancaire que le régime de Kiev a imposé aux régions rebelles de l’est depuis 2014, interdisant tout approvisionnement en nourriture et tout transfert d’argent. En 2017, les livraisons d’électricité et d’eau d’Ukraine ont également pris fin.

Et dans cette situation, la résolution du PACE, « Sur les conséquences humanitaires de la guerre en Ukraine » appelle le gouvernement à cesser de soutenir économiquement les territoires rebelles. Cela, en l’absence de nourriture, d’électricité et d’eau en provenance d’Ukraine, signifierait famine et gel pour 4 millions de personnes, qui sont enfermées par le gouvernement de Kiev sur seulement 3% du territoire ukrainien. Suggérant ce geste cruel à Moscou, le PACE se déclare « préoccupé par la situation humanitaire alarmante dans les territoires occupés ». À l’évidence, du point de vue des « humanistes » européens, la population du Donbass est éligible pour ne manger de la nourriture qu’après être retournée dans le giron du régime nationaliste de Kiev soutenu par l’Occident.

Pas seulement contre les Russes


Ne nous y trompons pas : le nouveau racisme « basé sur des valeurs » n’est pas dirigé seulement contre les Russes. Dans une moindre mesure, il est dirigé contre les gens et les forces politiques en Occident qui refusent de suivre la ligne des cercles dirigeants des États-Unis et de l’Union européenne. L’histoire de l’Europe offre de nombreux exemples de la situation suivante : lorsqu’une idéologie autoritaire « eurocentriste » arrive au pouvoir en Europe, l’« ennemi intérieur » est traité par des moyens non moins graves que ceux utilisés contre les Russes ou d’autres étrangers. Les périodes des guerres napoléoniennes et de la domination nazie et fasciste de l’Europe au XXe siècle n’en sont que les exemples les plus éclatants. Les journalistes et les médias qui n’appartiennent pas au courant dominant sont habituellement les premières victimes de telles situations. La frénésie paneuropéenne actuelle sur la lutte contre les « fake news » n’est pas une coïncidence. N’oublions pas que les deux seuls régimes dans l’histoire humaine qui ont décidé d’éradiquer totalement les « fake news » en déclarant que l’information non autorisée est un crime étaient l’Allemagne nazie et l’Union soviétique de Staline. À l’époque, on appelait cela de la « propagande hostile ».

Dmitry Babitch

Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Catherine pour le Saker francophone

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