20 juillet 2017

La voie du sentir


Extrait chapitre 15

Ce dimanche-là, il n’y avait plus une seule chaise de libre dans l’atelier. Peut-être était-ce dû à ce magnifique soleil de printemps qui réchauffait nos cœurs et nos corps depuis quelques jours. Luis, habituellement habillé de blanc, portait une chemise bleue, comme s’il voulait souligner encore un peu plus le caractère particulier de cette journée. Lorsqu’il prit la parole, le brouhaha dans lequel nous étions plongés, s’arrêta.

— J’aimerais vous entretenir d’un sujet qui nous concerne tous.
J’ai lu un article dans un journal, cette semaine, sur les différentes formes de manipulation de l’individu, que ce soit dans des sectes, dans des promotions de thérapies totalement inefficaces ou dans des ventes de formations et de stages à la fois onéreux et inutiles.

Pourquoi les sectes existent-elles ? Il doit y avoir une cause. Et comment se fait-il qu’il y en ait autant ?
Posez-vous la question. Si vous ne vous posez pas la question, c’est que vous ne voulez pas voir que vous êtes susceptibles de tomber vous aussi dans une secte.
Si une secte existe, c’est parce que des gens y vont. Alors la question, c’est : pourquoi des gens vont dans une secte ?
Parce qu’on leur fait une promesse !
Dès l’instant où quelqu’un, un thérapeute, un gourou ou un kangourou, vous promet quelque chose, méfiez-vous ! Que ce soit dans le plan social, dans le plan spirituel, dans n’importe quel plan, une promesse est une escroquerie.
Pourquoi ? Parce qu’on ne peut promettre que des choses qui appartiennent au monde de la manipulation mentale. On rentre dans le système du chantage. Je te fais miroiter ceci et toi, pour l’obtenir, tu seras prêt à croire et à accepter un certain nombre de choses.
J’ai eu la grande chance de connaître plusieurs maîtres. À chaque fois, ces maîtres m’ont dit :

« Luis, je ne peux rien te promettre, je n’en ai pas le droit ! Si tu fais le travail que je te propose, ta créature peut, peut-être, gagner une libération, une expansion, une dilatation. Mais ne cherche jamais à t’approprier ce monde, car ce que tu voudrais t’approprier te tuera. Tu ne peux pas jouer avec Dieu. Ne te mélange jamais avec les êtres humains qui jouent avec les idées de Dieu. »

Pourquoi un maître ne s’octroie-t-il pas ce droit à l’imposture de promettre quelque chose ? Parce que l’homme n’est pas une machine, ni une structure figée. Il y a un au-delà dans l’homme. Il y a sa destinée propre, sa mémoire, ses différentes incarnations. Peut-être ne doit-il pas accéder à un bonheur maintenant. Vous ne pouvez donc pas le lui promettre parce que ce n’est pas le bonheur qu’il lui faut mais un coup de pied au cul ! À l’inverse, ce n’est peut-être pas d’un coup de pied au cul dont il a besoin mais d’autre chose, d’une preuve d’amour, par exemple.
Mais quand on veut vous manipuler, on va vous promettre le ciel et la terre à travers un enseignement, à travers une thérapie, à travers un pouvoir que l’on attribue à un gourou ou à un chef de secte. Et des tas de gens vont y croire, des tas de gens seront même prêts à payer pour y avoir accès.
Mais qui sont ces gens ? Vous allez tout de suite me dire : « Ah non, certainement pas moi ! »
Et pourquoi les autres tomberaient dans le panneau et pas vous ? Qu’est-ce qui vous fait croire que vous seriez moins naïfs ?
Qu’est-ce qui vous fait croire, surtout, que vous ne pourriez pas devenir vous-mêmes fanatiques et intolérants ? Qu’est-ce qui vous empêche de basculer dans un sectarisme ? Qu’est-ce qui vous empêche de transformer la voie du sentir en une secte ?
Posez-vous la question. Et vous allez voir si, en vous, il n’y a pas ce désir sectaire d’accéder à un pouvoir.
Pouvoir, pouvoir, pouvoir ! Tout le monde, ici, est susceptible de tomber dans la recherche du pouvoir.
Comment cela fonctionne-t-il ? Qu’est-ce que les sectes vous promettent ? Du malheur, de l’infortune, de la détresse ? Non, elles vous promettent le ciel, le bonheur, la rencontre du bon époux ou de la bonne épouse, la réussite intérieure. Tous les pièges du pouvoir sont là.
On vous manipule toujours par le pouvoir de la parole. Il ne s’agit donc pas d’écouter ce qui est dit mais de voir les actes qui sont posés. C’est comme dans la drague, on vous fait croire ce que vous voulez entendre. Les méthodes du marketing pour avoir des clients, pour vendre un produit et pour faire de l’argent ne font qu’utiliser l’image et la parole.
Pour vous manipuler, l’image du maître doit donc être contrôlée, elle doit être au-delà de tout ce que l’on peut penser : c’est un surhumain, un démiurge qui a tous les pouvoirs, qui sait tout, qui peut tout.
Et les gens le croient !
Toutes sortes de faux maîtres pullulent. Ils travaillent en laissant les gens avec des béquilles et ils leur certifient qu’il faut avoir des béquilles. Mais comme je le dis souvent, si la fausse monnaie existe, c’est parce que la vraie existe aussi.
Alors, regardez les situations humaines, les situations sociales, ouvrez les yeux, soyez un peu moins stupides et demandez-vous pour quelles raisons toutes ces choses se produisent. C’est parce qu’il existe des stratégies de langage qui sont redoutables : « Venez chez nous, ici, vous allez être heureux, vous serez aimé. Le Maître va vous amener le ciel, vous révéler à vous-même. Il va vous donner l’ouverture de l’esprit… »
Le plus grave, ce n’est pas que cela existe, c’est que l’on y croit.
On peut dire que c’est la faute de l’État, de la police, la faute de ceci ou de cela, mais ce n’est pas vrai. Parce qu’une secte et son kangourou vous manipulent à travers toutes vos faiblesses : votre rêve de bonheur, votre rêve de devenir quelqu’un d’important.
Le gourou ou le kangourou va me dire : « Tu vas être mon lieutenant, tu vas me représenter ! »
Regardez bien comment on vous manipule : Est-ce que je vais avoir l’impression d’être vraiment quelqu’un en devenant le lieutenant du kangourou ? Est-ce que je vais être vraiment heureux avec ça ? Si cela vous rend heureux, c’est parce que vous considérez que vous n’êtes rien.
Si vous pensez ainsi, je ne dirai pas que c’est une pensée négative, je parlerai plutôt de pensée stupide. Pourquoi est-ce qu’on peut croire à une telle ânerie ? Parce que nous sommes crédules. Mais cette crédulité n’existe pas par hasard, elle est formatée par un désir : réussir, réussir, réussir !
On vous manipule dès que l’on vous propose d’être autre chose que ce que vous êtes. « Tu vas devenir un apôtre de la paix, tu vas apporter le bonheur aux autres, tu vas sauver des gens ! » Voilà le tralala qu’on vous sert partout !
C’est pour cela que dans la voie du sentir et dans ce travail sensitif, il n’y a aucun dogme, aucun devoir. Je vous ai dit chaque fois : « soyez libre ! » Surtout, soyez libre ! Je ne suis en rien supérieur à vous, vous n’êtes en rien supérieur à moi. Vous n’êtes pas inférieurs non plus. Nous sommes des amis faisant un travail d’ex­ploration.

Si j’ai profondément admiré le chamanisme, c’est parce que dans le chamanisme, il n’y a aucune pro­messe. Celui qui promet quoi que ce soit à un autre, c’est un spéculateur, un manipulateur.
(...)

Extrait chapitre 12

Nous étions environ une dizaine de personnes, à Paris, qui tentaient de mettre en pratique les propositions de Luis Ansa.
Ce jour-là, Luis nous avait proposé de venir à l’atelier à partir de dix-neuf heures. Quand nous arrivâmes, il était dans la cuisine en train de surveiller une énorme marmite d’où s’échappait un fumet particulièrement goûteux. « Ragoût d’agneau aux pommes », nous annonça-t-il.
Luis nous préparait souvent à manger, ce qui provoquait à chaque fois une véritable euphorie dans notre petit groupe car c’était un cuisinier hors pair.
Il embrassa chaleureusement chacun d’entre nous devant les fourneaux de la cuisinière, tout en soulevant régulièrement le couvercle du plat pour lancer une pleine poignée d’épices dans le bouillon. Au bout de quelques minutes, après l’avoir goûté une dernière fois, il nous annonça qu’on pouvait mettre la table.
Nous avions amené du vin, des fruits, des gâteaux, de l’alcool de prune, des chocolats… Ce fut un festin.
Avec le café Luis prit la parole.
— Nous vivons dans un monde d’énergies mais nous oublions que ces énergies n’ont pas de religion, ni de système philosophique, ni de croyances particulières, elles sont neutres.
On appelle « négatif », ce qui est en dysharmonie par rapport à une situation donnée mais l’énergie en soi n’est pas négative ou positive. Le négatif n’existe que par rapport à l’être humain parce que le négatif par rapport au cosmos, cela n’existe pas.
Lorsque l’énergie qui vient de l’univers entre dans l’atmosphère terrestre et humaine, elle se divise en deux forces que nous appelons, nous, le bien et le mal. Mais l’énergie du bien et l’énergie du mal viennent d’une même et unique force qui s’est divisée en deux formes.
Du point de vue de l’équilibre psychique et émotionnel du corps humain, on peut donc dire qu’il y a des choses qui sont positives et d’autres qui sont négatives mais l’énergie est une.
C’est en fait la mauvaise gestion des énergies dans notre vie quotidienne qui nous asservit.
Et cette mauvaise gestion résulte d’une cause essentielle : l’être humain est trop pressé, trop tendu vers un but : réussir ! Et pour réussir, il est guidé par une seule force, toujours la même, une force convexe.
Cette convexité obéit à une loi nécessaire à la nature et qui appartient au domaine de l’ampleur de la vie. Elle a permis à l’être humain de se développer, de conquérir la matière, les espaces, de découvrir le feu, l’architec­ture, de créer des cités, des avions, tout ce que nous avons. Cette force convexe est une force d’expansion.
Mais du coup, l’être humain mange d’une façon convexe, prie d’une façon convexe, étudie d’une façon convexe. Autrement dit, il vit d’une façon convexe, c’est-à-dire d’une façon toujours pénétrante, masculine, et jamais « captante », jamais féminine.
Les religions sont convexes, elles suivent ce principe d’expansion, elles posent des interdits, des dogmes, des récompenses, des châtiments… Il faut convertir, il faut convaincre l’autre.
Dans le monde convexe, je suis tout le temps en train de me justifier. Je me justifie vis-à-vis de moi-même, vis-à-vis de l’autre, vis-à-vis du « qu’en dira-t-on ». Comme mes actes obéissent à un désir de succès, je ne veux pas être considéré comme un raté car dans le monde convexe dans lequel je vis, les ratés sont éliminés.
Je suis constamment à l’affût de nouveautés, de sensationnalisme, c’est ce qui attire l’avidité dans laquelle la convexité se répand. Lorsque je suis irrité, susceptible, jaloux, je deviens convexe.
Le mental fonctionne bien sûr de façon convexe. Il faut toujours qu’il comprenne, qu’il pénètre tout ce qu’il touche avec la lumière de la raison, de la logique, de la loi de cause à effet. Une pensée convexe, c’est toujours : « j’espère, j’attends, je veux ».
Le monde de la convexité, dans lequel vous avez des certitudes, des nécessités de succès, de reconnaissance, d’amour-propre, vous amène ainsi très vite à la souffrance. Et votre vie devient le mur des lamentations.
Nous ne sommes pas des capteurs, nous sommes uniquement des émetteurs, des émetteurs de nos opinions, de nos caprices, de notre propre paranoïa obsessionnelle. Et tout cela donne des excuses à un personnage, à un moi, qui s’approprie ma vie et la dirige.
(...)

Extrait du livre la voie du sentir de Luis Ansa


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