25 février 2017

Marine et la Californie, même combat

 
Vieux routier et autorité “spirituelle” du paléo-conservatisme mâtiné de reaganisme (il fut speechwriter de Reagan), Patrick Buchanan prend dans son dernier commentaire une position remarquable sur le conflit culturel qui déchire les USA, que l’élection de Trump a mis au grand jour : en faveur de la sécession (“Oui, sans nul doute”, répond-il in fine à la question qui fait office de titre à son texte du 24 février : « Is Secession A Solution To Cultural War? »)

(Un signe qu’il rencontre là un avis grandissant et que nul dans la tendance politique importante qu’il représente ne dénoncera cette prise de position d’un homme d’une telle influence : en un peu plus de 24 heures, ce texte a été lu 11.835 fois et reçoit la cotation de 4,75 étoiles sur un maximum de 5.)

Cette grave question est soulevée à propos d’une décision récente de Trump d’annuler la directive d’Obama dite des “toilettes-transgenre”, d’imposer à partir du centre fédéral et pour tous les USA, malgré la résistance de divers États de l’Union, l’autorisation pour les étudiants “transgenres” de pouvoir utiliser les toilettes de leur choix (“filles” ou “garçons”) selon le genre qu’ils affectionnent et vers lequel ils estiment évoluer. Cette décision récente (courant 2016) d’Obama, typiquement sociétale, à la fois dérisoire, grotesque, invertie et absolument postmoderne, faisait partie du “legs” du précédent président qui marquait ainsi son activisme sociétal comme constituant du plus clair de son travail de fin de mandat. Trump l’a donc annulée au niveau fédéral, mais d’abord en laissant ouvert le choix du sens où l’on allait procéder : soit l’annulation également au niveau fédéral, imposant à tous les États cette nouvelle situation législative, option favorisée par la Secrétaire à l’Éducation DeVos ; soit le transfert de la décision vers chaque État, option favorisée par le secrétaire à la Justice Sessions. Trump a tranché pour le deuxième terme de l’alternative, pour éviter toute nouvelle querelle, avec d’éventuels troubles avec les États, comme la Californie, partisans de la mesure d’Obama.

Ainsi le cas devient-il typique, selon Buchanan, de la façon dont on peut procéder pour éviter de nouveaux foyers de la “guerre culturelle et sociétale” qui divise les USA. Son commentaire avait été introduit par la description de la situation actuelle :

« Cette guerre culturelle concernant des croyances irréconciliables à propos de Dieu et de l’homme, du juste et de l’injuste, du bien et du mal, et constituant la racine d’une guerre de religion, sera avec nous aussi longtemps que les hommes sont libres d’agir selon leurs croyances. Pourtant, en raison des divisions existant entre nous, plus larges et plus profondes que jamais, c’est devenu une question urgente de savoir comment, et pour combien de temps, nous allons pouvoir supporter cela en restant un seul peuple... »

Poursuivant son analyse autour et à partir de l’exemple que les circonstances lui offraient, d’autant plus symbolique qu’il est dérisoire autant que radical dans son “genre”, – ce cas des “toilettes-transgenres”, – Buchanan en vient à son constat général... Effectivement, la question des “toilettes-transgenres” n’étant évidemment qu’une implication dérisoire d’un conflit culturel fondamental, sa puissance symbolique n’en est que plus impressionnante à constater l’importance qu’elle a prise ; et la voie choisie, qui est le transfert du choix, donc de la souveraineté, à l’État, nous conduit effectivement à la question de la sécession, d’autant plus actuelle aujourd’hui, dans le climat de tension inouïe qui affecte les USA, qu’elle concerne directement et au premier chef le plus peuplé et sans doute le plus puissant des États de l’Union, radicalement antitrumpiste.

En fait, Buchanan expose la solution sécessionniste, – qu’il nommerait “néo-fédéralisme” dans des termes proches de ceux que développe William S. Lind, – comme étant une façon d’éviter que la “guerre culturelle” se transforme en une véritable “guerre civile” (ou “G4G de haute intensité”, selon Lind). C’est alors que lui vient sous la plume l’analogie paradoxale entre la Californie, facteur sécessionniste fondamental aux USA aujourd’hui, et Marine Le Pen en France, avec son projet antieuropéen qui implique en substance le retrait de la France de l’UE. (L’analogie est “paradoxale” parce que si Le Pen et la Californie font “même combat” selon Buchanan, ils le font exactement dans le sens idéologique opposé, – Marine, pour éviter les toilettes-“transgenre”, la Californie pour les adopter. [Encore que, dans ce dernier cas, il faudra voir ce qu’en penseront au bout du compte les Latinos, la “minorité majoritaire“ de l’État qui est peut être favorable à la sécession, mais pas nécessairement aux “toilettes-transgenre” et pour la même cause que les idéologues démocrates qui dirigent l’État.])

« Those factors are also among the primary causes of the fever of secessionism that is spreading all across Europe, and is now visible here. Consider California. Democrats hold every state office, both Senate seats, two-thirds of both houses of the state legislature, 3 in 4 of the congressional seats. Hillary Clinton beat Trump 2-to-1 in California, with her margin in excess of 4 million votes.

» Suddenly, California knows exactly how Marine Le Pen feels. And as she wants to “Let France Be France,” and leave the EU, as Brits did with Brexit, a movement is afoot in California to secede from the United States and form a separate nation.

» California seceding sounds like a cause that could bring San Francisco Democrats into a grand alliance with Breitbart. A new federalism — a devolution of power and resources away from Washington and back to states, cities, towns and citizens, to let them resolve their problems their own way and according to their own principles — may be the price of retention of the American Union.

» Let California be California; let red state America be red state America. »

Est-ce “the art of the deal” de Donald Trump, cette façon de déléguer le pouvoir du centre vers les États pour éviter des querelles interminables et finalement insolubles sur des sujets en apparence dérisoires et accessoires ? Mais cette logique est bel et bien sécessionniste et, une fois en route, elle devient un modèle irrésistible pour toutes les querelles insolubles, jusqu’aux plus graves affectant les domaines les plus essentiels, – autre chose que les “toilettes-transgenres”. En d’autres mots qui sembleraient avoir une parenté réelle avec la technique de la tautologie mais qui impliquent des événements considérables, le sécessionnisme mène bel et bien à la sécession, et le jour pourrait venir très rapidement où un État ou l’autre pourrait refuser une guerre extérieure du genre que mène actuellement Washington D.C., par exemple en refusant que des unités de sa propre Garde Nationale y soient affectées.

(Le Vermont, désigné pour y envoyer une des unités de sa Garde, a eu de ces tentations lorsqu’il apparut que le conflit irakien de 2003 était promis à durer beaucoup plus longuement que prévu. On doit avoir à l’esprit que des unités des Gardes Nationales de divers États sont effectivement déployées au sein de l’US Army et de l’USAF, dont les effectifs sont insuffisants dans nombre de cas pour ces divers conflits. Il y a également eu des querelles de cette sorte lors de la catastrophe de l’ouragan Katrina sur La Nouvelle-Orléans, lorsqu’il fut fait appel aux forces armées. Le gouverneur de Louisiane prétendit à cette époque utiliser sa Garde Nationale sous sa propre autorité, et non la mettre sous l’autorité du gouvernement fédéral, que ce soit le Pentagone ou l’organisation FEMA chargée de la gestion fédérale des catastrophes naturelles.)

Quoi qu’il en soit, on observe que la tactique vers laquelle Trump est poussé pour écarter les conflits sans nombre que sa candidature fait éclater parce qu’ils n’attendaient qu’une occasion pour éclater, et que la stratégie que Buchanan est conduit rationnellement à prôner pour venir à bout de cette “guerre culturelle” qui épuise psychologiquement l’Amérique, cette tactique autant que cette stratégie conduisent à la même logique sécessionniste sans plus aucun souci de considération pour l’énormité du tabou qu’elles bousculent. (Parler de la sécession comme d’une issue possible, sinon recommandée était encore un véritable sacrilège pour une pensée américaniste il y a seulement deux ans.) L’aspect le plus surprenant dans cette évolution est le parallèle qui vient à l’esprit de Buchanan entre la Californie et son destin (« Laissons la Californie être la Californie ») d’une part, et d’autre part la France et les projets de Marine Le Pen qui sont devenus un des points centraux d’intérêt extérieur, hors-USA, des conservateurs US.

Dans une de ses observations, Buchanan mêle même à ces deux destins celui du Brexit : « Et comme elle [Marine Le Pen] veut “laisser la France être la France”, et quitter l’UE comme les Britts l’ont fait avec le Brexit, un mouvement est en train de se développer en Californie pour faire sécession des Etats-Unis et former une nation séparée... » Le “même combat” dont nous parlons dans le titre vaut aussi bien pour le Brexit, le Calexit et le Frexit, – et, aussi bien, pour les événements déclenchés par l’arrivée de Trump, que certains pourraient nommer “Amerexit” ou “USexit”. Ce qui est remarquable, c’est bien sûr l’absolue incohérence idéologique : la Californie gauchiste, antitrumpiste, affichée multiculturaliste, n’a rien à voir, sinon tout l’opposé, avec les buts et les convictions affichés du FN.

C’est là où nous voyons combien doit être considérée, sans trop de timidité de l’esprit, l’appréciation selon laquelle les événements suivent leur propre logique qui n’a plus rien à voir avec le calculs, les ambitions, les constructions et les conceptions humaines. Des idéologies complètement opposées suivent la même dynamique au point qu’un commentateur peut les mettre en parallèle pour mieux exposer la logique qui les anime. Même Trump qui, dans cette occurrence décrite qui annonce peut-être d’autres manœuvres du même genre, concocte une “America Great Again” dont la formule (la sécession) serait invertie (vertueusement) au point qu’elle serait celle de la marche vers la dissolution du pouvoir central qui est le principal outil de contrôle du Système. Au bout du compte, Buchanan, qui est pourtant, comme vieux paléo-conservateur, plein des racines de l’américanisme originel, celui des Pères Fondateurs, et par cette nature même bien peu favorable à la sécession qui dynamite la structure même de l’American Dream, même lui, Buchanan, qui semble dire, autant par lassitude que par éclairement de l’esprit : “Après tout, pourquoi pas la sécession... ?”

Le paradoxe des paradoxes étant que, toute considération sur le contenu des idéologies étant mise à part, c’est l’action des partisans les plus acharnés d’un centre politique affirmé pour imposer leur réforme sociétale (plus que sociale) à l’homo americanus éventuellement le plus coloré possible, qui pousserait le président qui s’est appuyé sur le parti de Lincoln, un peu contraint certes, à évoluer vers un sécessionnisme comme seule issue pour être quitte de leur “G4G de haute intensité”, comme dirait Lind. Là-dessus on découvrirait combien les grandes forces et les grandes dynamiques qui nous importent savent manier l’ironie : l’UE, née du rêve de certains philosophes au cœur de midinette et à l’âme un peu courte de créer des “États-Unis d’Europe” à l’image des USA, s’achemine vers un démantèlement, une déstructuration d’elle-même, suivant en cela avant même qu’elle ait pu complètement l’imiter le “modèle” qui ne parvient plus à se supporter lui-même.

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