05 mars 2015

Lucifer

Voici la version du personnage de Lucifer, tel qu'il est décodé par Mauro Biglino dans le livre à succès "Le Dieu de la Bible vient des étoiles", édité par les Éditions Nouvelle Terre.


Avec l'accord de l'éditeur, voici la transcription du chapitre 10 de ce livre passionnant, qui personnellement a changé totalement ma vision de l'Ancien Testament et de ce que l'église catholique romaine a fait ingurgiter au bon peuple de ses fidèles depuis des siècles.

Pour lire le livre, allez ICI, vous ne le regretterez pas. Le précédent ouvrage du même auteur (qui peut se lire indépendamment), tout aussi passionnant, s'intitule "La Bible comme vous ne l'avez jamais lue" et est édité aux éditions Atlantes-Interkeltia (WWW.interkeltia.com).

Le chapitre 10 (pages 210 à 216) concerne les figures de Satan et de Lucifer. J'ai laissé le tout début du texte, c'est la synthèse de ce qui a été dit précédemment sur Satan.


[En guise de synthèse…

Les versets que nous venons brièvement de présenter nous confirment ainsi les deux aspects fondamentaux de ce personnage :

• Le personnage de Satan n’existe pas en tant que simple acteur qui agit en tant qu’individu seul, mais représente une position, une fonction qui peut être assumée aussi bien par des hommes que par des [malakhìm], ceux qu’on appelle "anges".

• Il n’agit pas nécessairement en continuel adversaire de "Dieu".
• Il s’agit souvent d’un exécutant de confiance étant donné qu’il accomplit fidèlement ce que "Dieu" veut.
• Il n’est ainsi pas du tout clair qu’il puisse être identifié comme le chef de groupes rebelles.]

Lucifer

La tradition religieuse a en réalité opéré une fusion entre Satan et un autre personnage angélique connu sous le nom de Lucifer.


Ce terme signifie "Porteur de lumière" et dérive du latin lucifer (de lux, "lumière", et ferre, "porter") et du grec φωσφόρος [phôsphoros] (φως [phôs], "lumière", et φέρειν [pherein], "porter"). On l’utilise souvent pour désigner la planète Vénus qui apparaît à l’aube, anticipant ainsi la lumière du jour.

Ce dernier rapprochement n’est en fait justifié que lorsque ce terme s’insère dans sa définition complète d’"astre du matin".

Dans les autres cas, il ne suggère guère plus qu’un corps céleste très lumineux.

Dans la tradition populaire, ce terme est généralement compris comme évoquant un être hypothétique, incorporel et lumineux, pourvu d’une nature éminemment maligne. On le désigne même souvent comme le chef des démons, le seigneur des enfers où s’entassent les damnés. C’est ainsi par ce biais que le judaïsme et le christianisme l’assimilent partiellement à la figure de Satan.

Cette identification très prisée découlerait de traditions judéo-chrétiennes ayant fourni une interprétation particulière d’un passage d’Isaïe que nous verrons bientôt. Le nom de Lucifer serait en réalité celui que cette entité portait avant d’être chassée du ciel par "Dieu". L’ange "porteur de lumière" serait ainsi devenu le Satan, c’est-à-dire "l’adversaire" par excellence.

Les partisans de cette interprétation ont principalement été Jérôme, Tertullien, Origène, Saint Grégoire le Grand, Saint Cyprien de Carthage, Saint Bernard de Clairvaux, Augustin de Cantorbéry et quelques autres, lesquels s’accordent principalement sur l’état angélique initial de Lucifer/Satan et de ses anges/démons. Une situation paradisiaque dont ils auraient été déchus du fait de leur orgueil et de leur esprit rebelle.

On peut essentiellement dire que ces Pères de l’Église établiront une identité entre le Lucifer d’Isaïe et le Satan de Job et des Évangiles, nouant ainsi un lien qui est entré dans la tradition religieuse populaire.

On gardera pour l’instant en mémoire que cette définition d’"adversaire de Dieu" est, comme nous venons de le voir, totalement inadéquate.

Le Lucifer d’Ézéchiel

Avant d’examiner le passage d’Isaïe qui est à l’origine de ces diverses élaborations théologiques, il va nous être utile d’isoler un autre extrait de l’Ancien Testament qui, à la faveur d’une exagération totalement irrecevable, associe souvent Lucifer à Satan :

Ézéchiel 28 1 et suiv.
Dans le chapitre mentionné, Ezéchiel s’adresse au roi de Tyr pour lui transmettre les paroles de Yahvé. Il le réprimande sévèrement à propos de son orgueil qui l’a poussé à se prendre pour un Elohìm. Il prépare ainsi sa chute inévitable du fait de peuples que ce même Yahvé enverra contre lui pour le faire mourir de mort violente et choir dans les enfers (?).

Tel est ce qu’on trouve dans les traductions habituelles. Ce concept des "enfers", pourtant, constitue une première exagération injustifiée, car le terme hébreu תחש [schakhat] ne renvoie pas au concept commun des enfers, mais désigne une fosse du type de celles qu’ils utilisaient pour capturer les animaux féroces. Il n’est donc ici pas question d’enfers. Dans les versets 7-8, on peut craindre
l’arrivée des peuples étrangers qui vont le combattre et le vaincre pour le faire "descendre dans la fosse".

La façon dont le récit se déroule suggère en outre que cette descente dans la fosse va même se produire avant son assassinat et il ne s’agit sans doute ainsi que de sa capture, qui sera suivie de sa mort par noyade [be-lev iamìm] "dans la profondeur des eaux".

Puis la narration continue avec ce que la Bible définit elle-même explicitement comme "une complainte contre le roi de Tyr" (Ez 28 12). Elle rappelle en guise de comparaison la grandeur initiale d’un personnage chassé de l’Éden du fait de son orgueil, ce même sentiment qu’on reproche au roi de Tyr, qui le conduira à profaner des sanctuaires et à commettre des actes de violence en se couvrant ainsi de fautes sans nombre qui ne sauraient trouver de pardon.

Le verset 14 nous intéresse ici tout particulièrement. Il s’agit de celui dont l’interprétation se réfère à Lucifer ; nous allons cependant comprendre que rien ne permet ce rapprochement :


Méchanceté, cupidité et orgueil prennent possession de ce personnage qui se trouve dans une position privilégiée – semblable à celle d’un chérubin en Éden (verset 13) – et la punition devient ainsi inévitable. Cette punition consiste cependant en son anéantissement total et non pas à le chasser dans un hypothétique monde des enfers. On nous dit en effet dans les versets 18 et 19 qu’il l’a "réduit en cendres" et :


"Tu n’existeras jamais plus !" lui dit-il clairement.

Tel que nous le comprenons effectivement, ce personnage ne saurait être pris pour Lucifer/Satan qui, bien au contraire, existe évidement toujours, étant donné qu’il doit/devrait exercer l’éternelle fonction d’adversaire de "Dieu" et seigneur du monde des damnés !

Le rapprochement entre ce personnage d’Ézéchiel et la soi-disant figure de Lucifer est par conséquent injustifié et erroné.

Le Lucifer d’Isaïe

Le vrai passage à l’origine de toute cette construction théologique est le suivant (Is 14 12-15) :


Cette invective se poursuit en y faisant remarquer que le roi se croyait si puissant qu’il s’imaginait pouvoir égaler le Très-Haut (verset 14), à savoir cette figure appelée ןוילע [elion] que nous avons évoquée dans le chapitre consacré à la division des peuples.

Mais ces arrogantes prétentions sont punies, et il est expédié dans les enfers (verset 15).

Voici comment les Pères de l’Église ont procédé : ils ont appliqué leur vision de la chute du prince des anges rebelles au texte et ont repris les paroles du Christ issues de Luc 10 18 ("Je voyais Satan tomber du ciel…"). Ils ont par la suite commencé à affubler le chef des démons du nom de Lucifer, créant ainsi cette association avec Satan.

Mais il n’existe dans les textes aucun passage susceptible d’autoriser ce genre d’approche, bien au contraire.

Le chapitre 14 d’Isaïe est une sorte de texte sarcastique qui s’adresse à un puissant de la Terre dont nous parlerons sous peu. Tel est ainsi celui qui pensait pouvoir s’élever à la hauteur de l’[elion] !

C’est le verset 4 qui nous le présente, là où Isaïe s’adresse au peuple d’Israël, l’invitant à prononcer un [maschal], "proverbe, maxime, parabole", contre ce souverain. Employant des expressions ironiques, il s’élève contre lui en indiquant que s’il pensait lui aussi être un grand qui terrorisait les peuples, il était maintenant devenu comme les autres. Il faisait auparavant trembler la terre, mais gît à présent sans sépulture au milieu d’autres cadavres…

Mais qui est donc exactement ce personnage ?

Une tradition fait de lui Nabonide, le roi de Babylone vaincu par Cyrus le Grand, qui permit en 539 le retour des Hébreux en Palestine. Mais ce verset se réfère beaucoup plus probablement au second successeur de Cyrus, Xerxès (mort en 465 apr. J.-C.), qui met fin à la coexistence pacifique qui s’était instaurée entre la dynastie achéménide et la classe dirigeante jérosolymitaine. La fin de cette idylle aura également eu des conséquences négatives sur la reconstruction du Temple, qui se voit interrompue.

Dans Isaïe 14, les versets 14 à 23, dont celui qui nous intéresse, constituent en effet un récapitulatif de la parabole du souverain persan et de ce qui advient sous son règne : fin de la tolérance religieuse instaurée par Cyr le Grand, destruction des centres habités, même ceux qui sont importants (Babylone étant du nombre), effondrement du règne persan (souvenons-nous les défaites de Sa-
lamine, de Platées et de Mycale) et mort violente de Xerxès.

Ce passage de la Bible semble en outre être une réponse directe à ce que le roi persan faisait écrire de lui quand il demandait à la divinité d’être grand et heureux lors de ses existences, celle sur la Terre et celle à venir. La condamnation biblique rappelle elle aussi les deux mondes et s’élève contre ce souverain coupable d’avoir mis fin à la politique universelle de Cyr, son prédécesseur, que le prophète avait lui-même défini en tant que Messie de Yahvé.

Les rapports ayant changé, le prophète, maniant l’ironie et le sarcasme, invite le peuple judaïque à s’élever contre le nouveau souverain. Cette prophétie a évidemment été écrite "après" la mort du roi, à l’instar de toutes les autres prophéties de la Bible, continuellement écrites "après" que les événements se soient vérifiés, celles-ci étant donc toujours des prophéties établies post eventum.

Ce parallèle sans équivoque entre ces versets de la Bible, les vicissitudes de Xerxès et la période historique à laquelle le texte est rédigé par l’auteur sous l’intitulé de Deutéro-Isaïe – les décennies qui ont vu la restauration d’Israël après l’exil babylonien –, nous font dire avec certitude que la figure à laquelle notre prophète fait référence n’est pas un esprit du mal – un diable –, ni même celui qui commande les légions infernales. Ne s’agissant pas d’un Lucifer artificiellement construit par la tradition religieuse, il se trouve que nous sommes en réalité devant un souverain achéménide.

Le verset mentionné plus haut s’insère dans un contexte historique précis qui ne permet aucun doute. On en a malgré cela fait l’un des fondements de toute l’élaboration doctrinale qui s’en est suivie. Les Pères de l’Église s’en sont ainsi servis pour construire le personnage irréel d’un ange qui se serait initialement appelé Lucifer, et, après sa chute, Satan.

La tradition patristique a atteint son apogée avec Thomas d’Aquin, qui a non seulement confirmé l’identité de Lucifer et de Satan, mais a en outre cherché à prouver que c’était véritablement à partir de cette identité que l’on pouvait comprendre l’origine ce qu’on appelle le "mysterium iniquitatis", la question toujours irrésolue de l’existence du mal et de l’injustice à travers le monde.

Un verset qui s’adressait à Xerxès a été récupéré au bénéfice d’une figure qui semble n’être que le fruit d’une construction théologique sans réelle substance !

La question qui se pose alors est :

• Tout ceci est-il né d’une équivoque vécue en toute bonne foi ou alors de la volonté expresse de trouver une base textuelle pour définir ce personnage du seigneur des enfers où finiraient les pécheurs ?

Et il n’y a pas que l’Église…

La doctrine chrétienne-catholique n’a pas été la seule à œuvrer à ce bouleversement. La gnose, sa contemporaine, a également cédé à la tentation d’utiliser le personnage de Lucifer. Elle l’a effectivement fait, mais en en changeant le sens et en le réinterprétant sous l’angle du Salut : elle lui a ôté ses connotations négatives et lui a attribué une fonction libératrice vis-à-vis du démiurge.

Selon cette hypothèse, le serpent/Lucifer décrit dans La Genèse serait celui qui a incité l’homme à acquérir la connaissance du Bien et du Mal et à s’émanciper au point de se faire pareil à "Dieu".

Pour ce qui est du catholicisme, de la gnose et des fragments du judaïsme qui reposent sur le Second Livre d’Énoch et autres, il s’est ainsi développé, concernant le chapitre 14 d’Isaïe, tout un fatras d’interprétations et de constructions théologiques d’une épaisseur considérable, dont l’influence est également énorme sur les consciences des personnes de foi. Nous pouvons en revanche sereinement affirmer que ce prophète et le peuple d’Israël de l’époque avaient alors bien autre chose en tête !

Les insolubles contradictions issues des négativité et positivité dont est paré un même personnage, soulignent encore une fois les risques que l’on court en abandonnant le sens littéral du texte pour progresser à la lumière de finalités idéologiques et doctrinales.

Pour conclure…

Les traductions qui échappent aux conditionnements de la pensée théologique nous font comprendre que la Bible est en elle-même très loin de l’iconographie traditionnelle qui veut voir en Satan/Lucifer le prince des démons, l’adversaire par excellence et le seigneur des enfers où les damnés endurent d’éternelles souffrances.

Nous avons également établi que le terme [satàn] ne désigne pas un individu spécifique, mais plutôt une fonction ou une charge, une tâche qui peut être assurée aussi bien par les hommes que par les messagers des Elohìm : il ne s’agit pas d’une entité spirituelle qu’on devrait craindre ou à qui l’on s’adresserait pour évoquer ce que l’on pourrait appeler, à défaut d’un terme plus approprié, des forces malignes.

Nous avons ensuite documenté le fait que le Lucifer d’Isaïe n’avait rien à voir avec le [satàn] biblique. Nous ne pouvons cependant conclure ici sans dire avec amertume que le satanisme, avec toutes les conséquences néfastes et dramatiques qui ont accompagné ses manifestations, qui n’en étaient que plus criminelles, est né de doctrines factices dont il tire une justification "spirituelle" aussi infâme que profondément tragique.

Vu ici

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.