22 novembre 2014

L'incroyable armée d'outre-tombe

Des milliers de soldats, plus de 600 chevaux, tous grandeur nature et armes réelles de toute sorte ont été enterrés il y a plus de 2000 ans dans d'immenses fosses occupant une superficie de plus de 20.000 m². Seul le tombeau de l'empereur n'a pas été exhumé, car certaines malédictions y sont attachées. On se demande si chaque personnage est une pièce unique ou s'il est le fruit d'une fabrication en série. Quelques découvertes à ce sujet dans la traduction ci-dessous.

Ce sont les oreilles qui fournissent des pistes sur la technique de création des antiques guerriers chinois en terre cuite

La technologie permet d'imaginer comment cet empereur chinois a pu faire fabriquer une armée pour l'éternité.

Le premier empereur de Chine, Qin Shi Huang, était un homme hanté par la mort.

En 246 avt J-C, le dirigeant encore adolescent fit la commande d'un immense tombeau qui contiendrait tout ce qui lui serait nécessaire dans la prochaine vie, dont une armée entière de guerriers en terre cuite grandeur nature, des puissants généraux jusqu'aux humbles fantassins. Rangée en formation de bataille dans des fosses proches de la tombe impériale, l'armée d'argile monte la garde depuis plus de 2000 ans. C'est en 1974 que des fermiers de la région découvrirent le site pendant le creusement d'un puits.

Depuis cette époque, les archéologues se sont creusés la tête pour comprendre comment les artisans d'alors ont pu produire 7000 soldats d'argile aussi réalistes jusqu'à leurs élégantes barbiches et leurs nattes tressées. Certains ont suggéré que les statues ont été modelées d'après des guerriers ayant réellement existé; d'autres pensent que des oreilles, des nez et des bouches d'argile différents ont été ajoutés sur des statues standard.

Dans un projet connu sous le nom de Logistique impériale : fabrication de l'armée en terre cuite, une équipe d'archéologues britanniques de l'UCL (University College London) et du musée du mausolée de l'empereur Qin Shi Huang de Lintong, en Chine, vient d'utiliser la toute dernière technologie d'imagerie et autres méthodes avancées pour déduire le procédé de création des guerriers. L'équipe sino-britannique a pris des mesures détaillées des traits faciaux des statues, se focalisant surtout sur les oreilles. La recherche médico-légale montre que la forme des oreilles varie tellement en fonction des êtres humains qu'on peut s'en servir pour l'identification des individus.

"Si un voleur appuie une de ses oreilles contre une porte ou une vitre, on peut s'en servir aussi efficacement qu'une empreinte digitale", explique un membre de l'équipe de l'UCL, Andrew Bevan. Si les guerriers de terre cuite représentaient des personnes réelles, chaque statue devrait avoir une forme d'oreille distincte.

Mais prendre des mesures sur des oreilles en argile présente des risques. Les fragiles guerriers sont si étroitement serrés dans leur fosse funéraire que se déplacer parmi eux avec des instruments de calibrage pourrait les endommager. L'équipe a donc utilisé une technologie numérique appelée SFM (structure-from-motion) pour créer la reconstruction précise en trois dimensions des oreilles des guerriers.

Pour l'échantillonnage initial, les membres de l'équipe choisirent 30 guerriers et prirent des photos du côté gauche de leur tête à distance prudente et selon différents angles de perspective. Puis ils combinèrent numériquement les photos pour créer des modèles en 3-D de chaque oreille gauche et mesurer la complexe géométrie de chacune.

Captures d'écran de la reconstitution en 3-D de la fosse n°1 à partir de la vidéo de l'article original (les personnages et animaux étaient colorés, mais depuis leur exhumation, presque toutes les couleurs ont disparu):





Une analyse statistique a révélé dans le petit groupe échantillon qu'il n'y a pas deux oreilles exactement identiques. En fait, le degré de variabilité s'est révélé semblable à celui de la population humaine. Cette découverte préliminaire accrédite l'idée que les artistes de l'antiquité aspiraient au réalisme.


Exemple de douze oreilles différentes

"Si on se base sur l'échantillonnage initial, l'armée de terre cuite fait penser à une série de portraits de guerriers réels", déclare Marcos Martinon-Torres, un archéologue de l'UCL.

Les résultats correspondent bien aussi à ceux de l'étude de 2003 réalisée par John Komlos, un historien allemand aujourd'hui à la retraite. Komlos a mesuré 734 guerriers d'argile et a comparé leur taille à celle de 150 hommes chinois du milieu du 19ème siècle. Son étude montrait une étroite concordance, suggérant à Komlos "que la taille des personnages de terre cuite pouvait bien représenter la stature réelle de l'infanterie chinoise".

Pour affiner davantage leur recherche, l'équipe sino-britannique mesure un plus grand échantillon d'oreilles et analyse d'autres caractéristiques faciales afin de pouvoir recouper les données.

Ateliers vs. chaînes d'assemblage

L'armée d'argile de Qin Shi Huang se dresse aujourd'hui debout pratiquement les mains vides, rang après rang d'hommes sans armes. Mais quand les archéologues chinois ont creusé autour des personnages, ils ont trouvé un assortiment d'armes véritables, allant d'épées et de hallebardes en bronze à des arbalètes et quelques 40.000 têtes de flèche, qui étaient fréquemment rassemblées en paquets de cent pour être glissées dans le carquois.

Pour glaner des indices sur leur fabrication, l'archéologue Xiuzhen Li, et d'autres membres de l'équipe ont mesuré un large échantillon d'armes, analysé la composition chimique de leur métal et étudié les petites inscriptions gravées dessus.

Le résultat a révélé quelque chose de surprenant. Les membres de l'équipe émettaient au départ l'hypothèse que les armuriers fabriquaient les armes en se servant d'un système d'assemblage à la chaîne semblable à celui développé par le constructeur de voitures américain Henry Ford. Pour ce scénario, les ouvriers auraient produit en permanence un élément particulier – tête de flèche en bronze, ou tige de flèche en bambou – et auraient envoyé ensuite leur produit vers une chaîne d'assemblage. Là, les ouvriers auraient assemblé les éléments en les ajustant pour créer une arme particulière.

Mais la composition chimique des têtes de flèche a révélé une toute autre image. Chaque paquet montrait une signature chimique distincte, légèrement différente de celle des paquets voisins. Ce qui suggère fortement que les armuriers de Qin Shi Huang travaillaient en système de "production cellulaire" ressemblant par certains aspects au système pionnier de Toyota pour construire des voitures. Au lieu de fabriquer de manière monotone le même élément pour une chaîne d'assemblage, les fabricants d'armes de l'empereur étaient probablement des artisans polyvalents qui œuvraient dans de petits ateliers dispersés en fabriquant les armes de A à Z.

Chaque armurier était cependant responsable de ce qu'il produisait. Beaucoup d'armes de petite taille portent des symboles gravés qu'on peut assimiler à une griffe du fabricant. Les lances, hallebardes et épées, plus grandes, portent des inscriptions plus détaillées qui enregistrent l'année de fabrication et le nom de chaque personne de la chaîne de commande responsable de leur manufacture.

"Ce qui permettait aux officiers de l'empire de retrouver tous ceux qui produisaient des armes défectueuses et d'appliquer de sévères sanctions", conclut Bevan. L'empereur gouvernait son vaste royaume d'une main de fer, condamnant une fois plus de 460 écoliers à être brûlés vifs pour être en possession de livres interdits.


Tombeaux de la famille impériale

Pendant l'exploration de la vaste nécropole de Qin Shi Huang, les archéologues ont découvert d'autres trésors en terre cuite, dont des personnages grandeur nature d'acrobates, de danseurs et autres saltimbanques. Mais les chercheurs doivent toujours explorer les sombres secrets du propre tertre funéraire de l'empereur.

Presque un siècle après le décès de Qin Shi Huang, un érudit chinois, Sima Qian, a donné une description d'ouvriers remplissant la tombe de l'empereur d’œuvres d'art uniques – incluant des représentations de corps célestes – qui pourraient se désintégrer si on ouvrait le tombeau.

On dit de plus que l'empereur a préparé une horrible mort pour quiconque oserait déranger son sommeil. Selon le récit de Sima Qian, la tombe impériale serait un piège géant équipé d'arbalètes et baignant dans des fleuves de mercure.

De toutes façons, il est pour l'instant prévu de laisser Qin Shi Huang reposer en paix.


Par Heather Pringle
Traduction par Hélios

Vu ici

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