23 octobre 2014

Pourquoi l’Occident va perdre sa nouvelle guerre froide avec la Russie

Le 29 août 2010, à Skorovodino, en Sibérie, le Premier ministre russe Vladimir Poutine inaugure la partie russe de l’oléoduc entre la Sibérie orientale et l’océan Pacifique. Photo: EPA

Après des mois de tension croissante à propos de l’Ukraine et d’évocations de l’arrivée d’une nouvelle guerre froide, la Russie et l’Occident pourraient, d’une manière surprenante, bientôt parvenir à un rapprochement. L’économie de la zone euro souffre beaucoup, et les sanctions contre la Russie en sont partiellement la cause. L’hiver est aussi sur nous, et cela rappelle à tout un chacun que Vladimir Poutine tient les cartes, quand il s’agit de la fourniture de gaz.

Cependant, ce qui fait pencher la balance, c’est que l’Ukraine s’achemine vers la déliquescence financière. À moins qu’un très grand plan de sauvetage ne vienne prochainement à son aide, l’Ukraine fera défaut, et cela enverra des ondes de choc à travers toute l’économie globale. C’est un risque que personne ne veut prendre, surtout pas Washington, ni Londres, ni Berlin.

Les sanctions contre la Russie allaient inévitablement frapper durement l’Europe occidentale. L’an dernier la zone euro a fait douze fois plus de commerce avec la Russie qu’avec les États-Unis (c’est une des raisons pour laquelle Washington est plus ferme à l’égard de l’isolement de la Russie).

La plupart des grandes économies européennes, en particulier celle de l’Allemagne, n’ont clairement soutenu les sanctions occidentales qu’après le drame du vol MH17, abattu au-dessus de l’espace aérien ukrainien en juillet, où 298 personnes ont trouvé la mort. Après cette tragédie, immédiatement imputée à Moscou, il était politiquement impossible de suggérer que des sanctions pourraient être contreproductives. Il en a résulté la plus grande restriction sur le commerce russe depuis l’époque soviétique (ciblant principalement les secteurs de l’énergie, de la défense et de la finance) et la détérioration des relations Est-Ouest, les plaçant à leur plus bas niveau depuis la guerre froide.

L’économie occidentale, qui a le plus souffert, et de loin, est aussi la plus grande de la zone euro. Au cours des dernières années, les pur-sang de l’industrie allemande ont investi des dizaines de milliards d’euros dans des installations de production russes. Volkswagen a plusieurs sites complets de production en Russie, où sont fabriquées les marques préférées de la classe moyenne, dans ce qui sera bientôt le plus grand marché automobile d’Europe. Siemens est au cœur de la mise à niveau du vaste réseau ferroviaire russe, alors que le fabricant spécialisé Liebherr y a aussi une assise importante. De nombreuses entreprises dites Mittelstand [l’équivalent de nos PME, elles représentent plus de la moitié de l'économie allemande] ont également établi des liens commerciaux lucratifs depuis l’ouverture de la Russie, il y a 20 ans, vendant de tout, depuis le placoplatre jusqu’aux machines-outils. Plus de 6 000 d’entre-elles fonctionnent à travers le pays, avec 350 000 emplois allemands dépendant directement du commerce avec la Russie. Elles en ressentent les effets.

Cela contribue à expliquer pourquoi, après une hausse de 0,8 % au cours des trois premiers mois de 2014, le Produit intérieur brut allemand a reculé de 0,2 % au deuxième trimestre. Le poumon économique qu’est la zone euro est maintenant au bord de la récession. La production industrielle a baissé en août de 4 %, ce qui représente la plus forte baisse mensuelle depuis le début de 2009. Les exportations ont diminué de 5,8 %, soit la plus forte baisse depuis la faillite de Lehman Brothers, en 2008.

Si les industriels allemands sont tranquillement en colère à propos des sanctions étasuniennes, les agriculteurs français sont bruyamment furieux. Le boycott réciproque de douze mois par Moscou, sur l’importation de produits agricoles occidentaux, touche à peine les agriculteurs étasuniens, alors qu’il provoque les hurlements de protestation gaulois. L’année dernière, un tiers des fruits et légumes frais exportés par l’Union européenne, et plus d’un quart de la viande bovine, étaient destinés à la Russie. L’embargo soigneusement ciblée par Moscou a provoqué une surabondance de produits agricoles en Union européenne, entraînant une chute des prix de gros. En se mobilisant de leur manière habituelle, les agriculteurs français ont mis le feu à des centres d’impôts régionaux. Réunis aux constructeurs allemands, ils constituent un puissant lobby anti-sanctions.

La raison principale, celle qui brisera très rapidement les sanctions Est-Ouest, est que l’économie ukrainienne est en train d’imploser, soulevant ainsi le spectre de la contagion financière. En juin, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) estimait que PIB ukrainien allait diminuer de 7 % en 2014.

Le mois dernier, cette prévision a été ré-estimée à -9 %, et accompagnée d’un commentaire de la BERD, avertissant qu’il y aurait d’énormes difficultés, si l’approvisionnement en énergie provenant de la Russie n’était pas entièrement restauré avant l’hiver. Gazprom fournit généralement à l’Ukraine plus de la moitié de ses besoins en gaz, à un tarif fortement subventionné. Mais comme il n’y a pas eu d’accord entre Moscou et Kiev sur un nouveau prix, le robinet est coupé depuis juin.

Liam Halligan
Traduit par les Éditions Démocrite (Alexandre et Marie José Moumbaris) pour vineyardsaker.fr

Source : Why the West will surrender in its new cold war with Russia (spectator.co.uk, anglais, 18-10-2014)

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