18 septembre 2014

Image d’Épinal : Le Bhoutan, "pays du bonheur immédiat"


Lové dans son éventail de montagnes creusé de vallées où cascade l'eau des neiges éternelles de l'Himalaya, le Bhoutan tente aujourd'hui un tour de magie: la fusion entre le XVIIe siècle, où se sont affirmées son unité et son identité bouddhiste, et le troisième millénaire d'une mondialisation de tous les dangers pour ses grâces séculaires.

Le bonheur national brut

En 1987, interrogé sur le produit national brut du pays, le roi Jigme Singye Wangchuck, monarque récemment converti à la démocratie, répondit qu'il s'intéressait plus au "bonheur national brut" de son peuple. Il en fit un principe de gouvernance, puis un indice très sérieux où l'éducation gratuite et la protection des forêts comptent autant que les kilowatts hydroélectriques vendus à l'Inde.

L'an 2000 a apporté la télévision, Internet et les téléphones portables, peu propices à l'isolement qui protégea farouchement sa sage culture jusqu'en 1975, année des premiers visas pour les étrangers. Depuis que la frontière s'est entrouverte, le mantra du tourisme est "high value, low impact" ("valeur élevée, impact réduit"), la qualité, déterminée par les moyens financiers des visiteurs, limitant la quantité.

Un autre mantra -"Ne prenez que des photos, ne laissez que l'empreinte de vos pas"- protège le véritable trésor du royaume: son étincelante nature, bulle d'air pur flottant au-dessus de ses très pollués voisins chinois et indiens. Tout là-haut, les randonneurs s'aventurent sous les fleurs roses et jaunes des rhododendrons géants, foulent les pavots bleus, dévalent les forêts de pins drus et les rizières qui enserrent des vallées comme celle de Paro, lieu des échanges avec le reste du monde. 
 

Pour contrôler l'afflux touristique, le Bhoutan parie sur la qualité et non sur la quantité. Ci-dessus, la vallée de Paro. Martin Morrell

Un pays sans tabac

Au bout de la iste d'atterrissage de Paro s'élève l'immense portrait d'un couple glamour, digne du Festival de Cannes. Le roi, beau brun aux cheveux gominés, et la reine au look de top-modèle accueillent les passagers au "pays du Dragon Tonnerre", dans le seul aéroport international du Bhoutan.

Pas vraiment débarqués dans un "hub" du transport aérien de masse, les passagers s'égayent autour de l'avion, le nez en l'air, pointant du doigt les contreforts de l'Himalaya les environnant. Ils pénètrent en baguenaudant dans un bâtiment décoré comme un palais, hôtes d'un Shangri-La bien réel jailli des nuages. Un barrage de douanières chamarrées est surtout chargé de la chasse aux fumeurs. Interdiction d'importer "cette herbe très infecte et nuisible appelée tabac". Dans ce royaume tout frais, dont le premier roi ne coiffa la couronne surmontée d'un corbeau qu'en 1906, pacifiant une multitude de seigneurs bagarreurs, on ne fume plus depuis 2004. Même pas le cannabis, qui pousse pourtant à l'état sauvage, nourrissant les cochons et les vaches auxquels il donne, disent les paysans, un appétit féroce.

Les tenues traditionnelles de rigueur

Paro a une vague allure de station autrichienne de sports d'hiver hors saison, avec des motifs fleuris décorant les festons de bois découpé aux façades des maisons et des échoppes. Sur les balcons pendent des grappes de piments en guise de géraniums. Les gigantesques chaînes montagneuses alentour -les "Trônes des dieux", 21 sommets de plus de 7 000 mètres- rappellent vite qu'on a bien atterri sur le toit du monde.
 
 
Près de Paro, cette jeune femme arbore la tenue traditionnelle et obligatoire: le "kira". Thierry Dudoit

Ce pays de 750.000 habitants, grand comme la Suisse, garde par décrets royaux ses enchantements vestimentaires, les tenues traditionnelles, obligatoires en public. Ainsi le "gho", vaste kimono pour les hommes qui se plie et se retrousse au-dessus de longues chaussettes pour aménager une poche ventrale, dote même les plus maigres d'une panse rebondie. Le "kira" drape les femmes de tissages chatoyants jusqu'au sol. Mais, aux pieds, Nike et Reebok fluo ont remplacé les bottines. Et, si les panneaux publicitaires sont partout interdits, les antennes hérissent les toits de bien des demeures neuves, qui se doivent, toujours par décret, d'être décorées de motifs traditionnels.
Des monastères-forteresses éclatants

L’émerveillement, quant à lui, ne se décrète pas. Il rayonne sur les flancs évasés des murs défensifs des dzongs (monastères-forteresses), dont plus de 1 000 gardent le pays, rivalisant de leurs masses blanches avec les sommets enneigés.

Celui de Punakha est une place forte dominant la rencontre de deux grandes rivières, les Mo Chu et Pho Chu ("la mère" et "le père"). En son sein explosent mandalas cosmiques et peintures sacrées toutes fraîches (la restauration permanente fait aussi partie du bonheur national brut) et rutilent ornements dorés, décors du siège d'un pouvoir laïque autant que monastique. Sur ces rives, l'envol des moinillons en robe rouge dans le tourbillon des pétales mauves des jacarandas croisant de doctes administrateurs en gho gris est un spectacle élégiaque.
 
 
Le pays est très attaché à la restauration de ses dzongs (monastères-forteresses): ici, celui de Rinpung, à Paro. REUTERS

Gris-gris phalliques

Autre vision, presque une hallucination, la prolifération de fresques de phallus enrubannés et en pleine forme sur les murs des fermes. C'est la faute du fou divin, Drukpa Kunley, un moine iconoclaste et paillard devenu au XVe siècle le saint favori du pays. Il se vantait, parmi ses exploits, de méditer au plus zen en forniquant tous azimuts, ivre d'alcool de riz. On lui attribue la création du très vilain takin (bovidé local): après avoir dévoré une vache et une chèvre, il colla le crâne de l'une sur le squelette de l'autre. Les pauvres bêtes qu'on peut voir aujourd'hui dans des enclos au-dessus de la capitale, Thimbu, sont d'une indéniable laideur. Mais le summum de son joyeux enseignement se trouve dans la région de Punakha, sur la colline en forme de sein où il érigea son monastère de Chimi Lhakhang. Les femmes viennent y prier pour leur fécondité au milieu d'une flopée de zizis souvenirs, et l'on initie les nourrissons à la conscience bénéfique du tantrisme par un coup de foudre en forme de godemiché écarlate.
Aller au Bhoutan avant sa métamorphose

Autre très haut -littéralement- lieu spirituel, le monastère de Taktshang ("nid du tigre"), accroché à une falaise de 1 000 mètres taillée de 800 marches ponctuées de 1 000 drapeaux de prières par les pèlerins qui n'ont pas la chance de voler jusqu'à l'édifice sur le dos d'une tigresse ailée comme le très saint Guru Rinpoché, dont la légende dit qu'il arrima le monastère aux rochers avec les cheveux des dakinis, êtres féminins et célestes.
 
 
Des bonzes au monastère de Tango, près de la capitale, Thimbu. REUTERS

De merveilleuses contradictions animistes abondent: la chasse et la pêche sont interdites par le Tsa Yig -code législatif- bouddhiste, mais le sport national est le tir à l'arc, et les esprits Nagas peuplent tout en fluidité les lacs, les torrents et les rivières d'un pays ruisselant d'eaux vives où aucun mortel ne saurait se baigner. Petit arrangement avec les dieux, les carpes abondantes se ramassent par terre lors des crues et le léopard des neiges est aussi insaisissable que le mythique yéti.

Il faut donc saisir le Bhoutan au plus vite dans ces idylliques instants, figé dans l'éternité du Bouddha, et avant que les voeux royaux de la démocratie et du tourisme ne garnissent d'épines ses couronnes de fleurs. e l'information en direct et en temps réel. Retrouvez l'actualité française et internationale, la politique, les évènements culturels, les rendez-vous sportifs, les nouveautés scientifiques et high-tech et bien d'autres sujets.

Grande misère...

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